Thème / Theme

English version follows

Fait et sens. Le rôle du langage dans l’expérience d’un monde commun.
 
Toute langue naturelle comporte la double dimension du dire et du vouloir dire. En effet, si la parole procède du besoin d’objectiver nos rapports au réel, son fonctionnement dénotatif se complique d’une surdétermination connotative, qui reflète le point de vue du sujet parlant. C’est-ce qui explique que la plupart des mots que nous utilisons pour désigner des faits sont au départ des métaphores qui leur confèrent, outre la signification objective, un sens subjectif. Afin d’éviter cette ambivalence, dont se nourrit l’imagination poétique, la philosophie a commencé à élaborer un langage conceptuel, destiné à garantir la cohérence logique de son propos. Les sciences lui ont emboîté le pas, en développant des terminologies ad hoc, aptes à formaliser leurs énoncés de base pour écarter tout risque d’équivoque. Ce processus culmine dans les sciences de la nature, qui se sont dotées d’un outil sémantique emprunté aux mathématiques pures. Il en résulte une situation problématique, qui se caractérise par le divorce entre le discours de la science et le discours sur la science. Alors que l’un se déploie au sein même des champs disciplinaires en privilégiant sa pertinence interne, l’autre s’inscrit dans l’horizon plus large d’un raisonnement qui thématise la connaissance en tant que telle. Or, quand une science particulière prétend fournir des réponses valant pour l’ensemble des interrogations scientifiques, elle verse dans le scientisme ; et quand l’épistémologie générale ignore la diversité des recherches en cours, elle se transforme en idéologie. Pour contrer ces dérives symétriques et préserver l’idée d’un partage effectif des savoirs, il convient de repenser le sort des langues à la lumière de l’expérience de la traduction.
 

 
Fact and meaning. The role of language in the experience of a shared world.
 
Every natural language has two dimensions: what is said and what is meant. Although our words come from the need to objectivise our relationship with reality, their denotative function is complicated by a connotative over-determination that reflects the point of view of the speaker. This explains why most of the words we use to designate facts are basically metaphors that impart a subjective meaning in addition to an objective one. In order to avoid this ambivalence, which fuels poetic imagination, philosophy has begun to develop a conceptual language, aimed at guaranteeing logical consistency. Science has followed hot on philosophy’s heels by developing ad hoc terminology to formalise basic statements to avoid any risk of ambiguity. This process is most noticeable in the natural sciences, which use a semantic tool borrowed from pure mathematics. This gives rise to a problematic situation, characterised by the split between talking science and talking about science. While the former is used within the various disciplines for its contextual relevance, the latter is deployed more widely, based on the reasoning that knowledge exists for knowledge’s sake. So, when a particular science claims to offer answers that are valid for all scientific questions, it veers into scientism; and when general epistemology ignores the diversity of ongoing research, it turns into ideology. To combat these equal but opposite drifts and preserve the ideal of the effective sharing of knowledge, we should rethink the role of languages in the light of the experience of translation.